Sunday, July 6, 2014

Post 20: La Suite en Francais

     Il était déjà presque midi lorsque nous sortîmes des Ecuries, et mes parent décidèrent de pique- niquer sur un banc près de la voiture avant de faire une promenade dans les jardins. Maman avait bien fait les choses, et nous avait préparé de longs sandwichs de jambon de Paris au beurre, mes préférés, et des petits sandwichs au camembert. Pour terminer, chacun pu choisir un éclair, vanille pour  Vic, chocolat pour Gus, et bien entendu café pour votre serviteur. Nous les "gamins" eurent droit a une bouteille de limonade, et mes parents partagèrent une petite bouteille de Pommard offerte au moment du départ par le Docteur Bonnafout. 
     Un quart d'heure plus tard, nous traversions les grilles et entrions dans la Cour Royale ou trône la statue Equestre de Louis XIV en chapeau a plumes et hautes bottes a revers. L'énorme château, que nous n'avions de toutes façons pas le temps de visiter, était en fait fermé au public pour le tournage d'un film Américain sur Marie Antoinette. Nous passâmes donc directement aux jardins, qui de la terrasse nous parurent s'étendre a perte de vue. Nos jeunes yeux de Parisiens n'avaient jamais rien vu de tel, et après avoir dégringolé les Cent Marches, nous partîment en courant en zigzag a travers les buissons du Bosquet de la Reine pour y jouer a cache cache. Tout en gardant l'oeil sur notre petit groupe turbulent, mes parents se dirigèrent bras dessus bras dessous vers le Bassin d'Apollon, ou ils nous donnèrent rendez vous a deux heures précises. Nous devions en effet reprendre la route assez tôt pour arriver a Beynes en fin d'après midi. Nous nous en donnâmes a coeur joie, passant d'un carré a l'autre, nous éclaboussant de l'eau des bassins, tournant en rond autour de la colonnade, pour finalement rejoindre mes parents qui nous attendaient paisiblement assis au bord du Bassin d'Apollon en admirant le superbe ensemble en plomb doré du Char du Soleil. Mon père nous raconta la légende d'Apollon, fils du "Grand Patron" Zeus, Dieu de la Beauté, de la Raison, des Arts et de la Musique, mais aussi sous le nom de Phoebus Dieu du Soleil, et par la symbole du pouvoir de Louis XIV.  De la sa présence au centre de ce bassin, Dieu Soleil sortant des flots sur un chariot attelé de quatre chevaux pour effectuer sa course quotidienne autour de la terre, symbole du Roi Soleil dominant le monde…
   Ce petit cour d'histoire terminé, nous rejoignîmes notre voiture d'emprunt, et reprîmes la Départementale 10 en longeant le côté Sud du Parc. Il avait fallu tout de même une dizaine de coups de manivelle pour remettre la B12 en marche. Avec une voiture "moderne", il aurait suffi d'appuyer sur le bouton du démarreur. Enfin, un jour peut être mon père aurait sa propre automobile, et je me voyais déjà tronant dans une Viva Grand Sport décapotable… 
    Ma boussole de poche en laiton me confirma notre cap plein Ouest, et ma belle montre de communion indiquait 14 heures 21 minutes. Assis a l'avant entre mes parents, bercé par le ronronnement du moteur, je me voyais déja navigateur de Mermoz sur son Bréguet XIV de Latécoère, et surveillais la température au bouchon de radiateur… Je chronométrais le temps entre deux bornes, et faisais mentalement le calcul de notre vitesse: une minute et vingt secondes pour faire un kilomètre faisaient 3600/80 = 45 km/h. Puis nous obliquâmes Nord Est sur la route départementale 11 en direction de Les Clayes-sous-Bois, ou nous finîmes un bref arrêt pour admirer un grand château aux tours latérales rondes, dont il ne reste plus maintenant justement que ces deux tours, le corps du bâtiment ayant été incendié par le Allemands a la libération. Nous n'étions plus qu'a une dizaine de kilomètres de Beynes, en suivant une toute petite route de campagne bordée de champs de colza en fleurs.
      Quelle ne fut pas ma surprise et ma joie de découvrir qu'il y avait en bord de route juste avant d'arriver a Beynes un petit Aérodrome ou quelques planeurs s'entrainaient en partant du sommet d'un monticule. Je fis arrêter la voiture pour les regarder évoluer, et nous apprîmes par un paysan qui passait par la qu'il s'agissait du club de vol a voile de l'Université de Paris. Je me promis de revenir dès que possible, et de voir de plus près ces simples machines volantes de bois et de toile. 
       Il se faisait tard, et ne sachant pas dans quel état nous allions trouver la ferme de mon grand père, inhabitée de puis sa mort, ma mère insista pour reprendre la route et y arriver au plus vite. Nous ne prîmes pas le temps d'aller au village dont nous pouvions apercevoir le vieux château et l'église, et prirent une petite route a droite qui suivait la vallée de la Meauldres, une charmante petite rivière qui serpentait dans des prés parsemés de vaches blanches. Ma mère nous montra du doigt une vielle bâtisse de pierre au toit de tuiles brunes sise au milieu d'un bouquet d'arbres tout près du cours d'eau, et nous tournâmes a droite dans un chemin de terre envahi d'herbe. A une centaine de mètres, un petit pont tout juste assez large pour notre carrosse traversait la Meauldres, et permettait d'accéder a notre "maison de campagne". Le chemin et la cour étaient  envahis d'une herbe drue qui frottait le dessous de la voiture, laquelle semblait fendre ces flots vert vif comme un bateau, laissant un sillage plus clair. Tant bien que mal, nous arrivâmes jusque devant la porte, et mon père coupa le contact. Le moteur s'arrêta après quelques hoquets. Il regarda la maison, puis maman, haussa les sourcils, et laissa échapper avec un soupir:  "Eh bien, au boulot les gosses!"
   C'était une petite ferme toute simple semblable a bien d'autres dans la région, adossée a un petit monticule face a la rivière, orientée au Sud Ouest, avec en façade une porte et trois fenêtres a encadrement de briques rouges fermées de volets de bois peint en vert, et surmontée d'un toit de tuiles pentu avec une lucarne en pignon. Au côté gauche, s'adossait un appentis comprenant une petite écurie et un grenier a foin. Un banc de pierre a gauche de la porte recueillait les rayons du soleil couchant, et un rosier grimpant aux fleurs rouges sombre s'agrippait aux vieilles pierres ocrées un peu disjointes. 
   Aussitôt, nous sautâmes de la voiture en claquant les portières et partirent en courant faire le tour de la maison. Maman sortit de son sac a a main une grosse clef bénarde un peu rouillée au panetton dentelé, et la tendit a mon père. Il lui fallu quelques efforts pour ouvrir la vieille porte a la peinture écaillée et a la serrure rouillée. Il la poussa, se retourna avec un sourire satisfait, saisit dans ses bras maman qui attendait derrière lui, et pénétra dans la bâtisse en riant. Nous les suivîmes avec curiosité. 
    La salle était sombre et humide, presque froide par rapport a la température extérieure par cette belle journée d'été. Après avoir déposé maman au sol, il se dirigea vers la fenêtre, l'ouvrit, enleva les crochets, et poussa les volets. Le soleil s'engouffra goulument en biais par l'ouverture, comme s'il voulait vite reprendre possession d'un espace longtemps abandonné, et illumina le mur Est de la  salle de ferme et la grande cheminée au linteau de bois noirci par la fumée, projetant sur le jambage gauche l'ombre des zigzags de l'antique crémaillère. 
    La pièce était encore telle qu'elle, les tomettes rouges et les meubles centenaires recouverts d'une fine couche de poussière blanche. Au centre, sous une suspension en bronze munie d'une lampe a pétrole et d'un abat-jour en verre opalin, s'étendaient une longue table de chêne et deux bancs. Accroché a un clou dans la poutre pendait un tortillon de papier gluant jaunâtre sortant d'un tube en carton, auquel étaient collées des centaines de mouches domestiques noirâtres totalement momifiées. 
   Contre le mur du fond, entre un vaisselier rustique garni d'assiettes a fleurs ébréchées et une maie, une horloge Comtoise ventrue au cadran émaillé entouré d'un fronton de laiton estampé était arrêtée depuis des années a l'heure de la mort du grand père.  Sur le manteau de la cheminée,  s'alignaient entre deux bougeoirs de cuivre jaune: un moulin a café, un petit crucifix de bois tourné noir, un pichet en étain, deux fers a repasser en fonte, quatre boites de fer blanc peint de taille décroissante, une lampe tempête, et une bouteille a moitié vide.  Au dessus, un vieux fusil de chasse a chiens extérieurs était accroché au mur par sa courroie de cuir. 
    Juste a gauche de l'âtre, trônait la cuisinière a bois en fonte émaillée bleue, du coin de laquelle sortait un tuyau de poêle noir qui allait rejoindre   en faisant deux coudes un orifice percé dans le conduit de cheminée juste en dessous du plafond. Quelques casseroles de cuivre étamé et une bassinoire étaient suspendues a une plancheA droite, un placard dans l'épaisseur du mur laissait voir par une porte entrouverte des rayonnages supportant divers ustensiles de cuisine. Sous la fenêtre, saillait un évier de pierre sur lequel était posé un seau galvanisé et une cuvette. 
     Après un regard circulaire, mon père poussa  a gauche de l'entrée une porte que je n'avais pas encore remarquée, et ayant repéré la fenêtre dans l'obscurité, l'ouvrit et poussa les volets de la chambre. Une nouvelle fois, le soleil prit possession de la pièce et l'illumina violemment,  projetant par la porte ouverte un rayon sur la grande horloge, faisant luire la poussière suspendue dans l'air, et se réfléchissant sur le balancier de cuivre immobile derrière sa vitrine. 
     Nous nous précipitâmes derrière lui. C'était une chambre a coucher toute nue, avec juste un lit de fer a deux personnes, une grande armoire penderie, et une chaise paillée. Au mur, deux photos passées dans des cadres de bois sculpté. Il y régnait une odeur de moisi, et maman remarqua qu'il allait falloir "aérer tout ça!".
     Une autre porte menait a la seconde chambre, qui elle aussi prît bientôt une fois les volets ouverts son bain de soleil et de lumière. L'ameublement en était aussi d'une grande simplicité: un lit de fer a une place peint en blanc, une petite armoire et une commode de bois blanc. 
     "Au boulot!" cria Papa.  

   
    

Thursday, July 3, 2014

Post 19: Return from a Very Very Long break

    It seems incredible just how fast time has flown since my last post… I have been kept quite busy by the preparation of "Light Dreams", that show I organized for the Concert Hall of the University. I documented the process in another Blog:                                      http://luxsomnia2014.blogspot.com
     That took place in May, and after a month long trip to Europe, I only now just got around to re reading the first chapters of my book in French. When I opened the blog this morning for the first time in nine months(!), I was afraid to be disappointed by what I wrote then, but I am actually rather pleased, and that gives me some motivation to continue this tale.
   After all, I don't know all the details, and it will take a great deal of research to figure them out, but I know pretty much where I am going with the story.
   The point of the choice of language solved itself: I am definitely more at ease writing in French, the story takes place on French soil, and mostly, I find the French language richer in interesting words and colloquialisms. 
   As far as writing a parallel Screenplay, I suppose I will see about that later. It seems a sufficient undertaking for the moment to finish the story in French.

Wednesday, September 25, 2013

Post 18: Now for the French version!

 LIVRE 1:  L'EXODE

    Chapitre 1: Le Pont
       Samedi 13 Juin 1940
      Route de Chartres

     Ras le bol. Ras le bol. RAS LE BOL! Je clopinais a grand peine a cause des ampoules aux talons qu'avaient fait éclater mes beaux escarpins du Dimanche tout neufs, et j'avais l'impression d'avoir les bras a demi arrachés a force de trainer a tour de rôle d'une main puis de l'autre la vieille valise de carton bouilli marron ou j'avais la veille au soir entassé mes trésors. Ma veste du Dimanche en épais drap de laine marine pesait de plus en plus lourd et se raidissait sur mes frêles épaules de treize ans, complètement imbibée par la sueur qui ruisselait depuis des heures entre mes omoplates. Ma mère me trainait par la main depuis cinq heures du matin sur la route de Chartres, fuyant l'avancée des Boches sur Paris dans une cohue indescriptible de voitures, camions, vélos, landaus, hommes, femmes et enfant surchargés de meubles, matelas de lin rayé, valises distendues, ballots rebondis, paquets de papier brun grossièrement ficelés, pendules de cheminée aux aiguilles arrêtées, et cages a oiseaux ou piaillaient encore faiblement des canaris a demi morts de soif...
    Deux fois déja depuis notre départ de Paris a l'aube par la route de Chartres, les Stukas de la Luftwaffe avaient soudainement surgi des nuages, plongé dans un hurlement grandissant et assourdissant de sirène sur notre colonne affolée, et suivi en rase-mottes une courte ligne droite en nous arrosant de leurs mitrailleuses, nous propulsant tels des pantins terrifiés dans les haies et les fossés ou nous nous égaillions a la recherche d'un abri malheureusement illusoire. Nombreux sont ceux qui restèrent a plat ventre le nez dans la boue du fossé, alors que le filet d'eau boueuse se teintait lentement de rouge vif.
   Partout sur la chaussée éclatée, abandonnées en catastrophe, des voitures  en flammes vomissant une fumée noire, des carcasses de camions noircies et fumantes, ouvertes comme des boites de conserve, des cadavres déchiquetés, des mères hurlant leur détresse, et des enfants perdus en pleurs. Un âne blessé, empêtré dans les brancards d'une charrette renversée, brayait a coeur fendre. 
   Les survivants s'enfuyaient droit devant eux sans rien voir voir, poussés par cette panique incontrôlable et aveugle qui oblitère toute pitié, toute humanité, toute miséricorde...
   Un peu plus loin, tout était bloqué.

   L'antique pont de pierres qui enjambait la petite rivière depuis des siècles n'était plus qu'un amas de cailloux encore fumants. Seul restait après le bombardement un petit panneau de guingois avec un nom a moitié effacé : Alène. Deux camions bloqués en travers de la route ne laissaient qu'un étroit passage. Les vieilles planches de chêne de leurs ridelles avaient été arrachées et jetées tant bien que mal en travers du cours d'eau en guise de pont, et il fallait faire la queue pour le traverser. 
   Juste devant nous, un vieillard décharné vêtu d'une salopette bleue toute rapetassée et coiffé d'une casquette plate a bouton s'engagea sur la passerelle improvisée en poussant péniblement une vieille brouette branlante surchargée de paquets et de sacs de jute, au sommet desquels était assis en équilibre précaire un petit garçon vêtu d'une barboteuse jaune sale qui pleurait en appelant sa mère. 
    Soudain surgit par derrière un garçon brun de mon âge poussant une "Hirondelle" toute neuve, portant un vieux sac a dos de cuir et un fusil de chasse sur l'épaule gauche. Il me bouscula et cria au vieil homme méchamment : "Dégage, pépère!". Surpris, celui ci sursauta, hésita un instant, et fit l'erreur de s'arrêter.  La brouette vacilla. Il tenta désespérément de reprendre son équilibre, mais la roue ferrée glissa, la brouette versa, et il tomba a l'eau dans un grand plouf avec son précieux chargement.  
    La matinée avait été éprouvante, et j'étais de mauvais poil...  La colère me saisit. A mon tour, je bousculai le petit salopard de toutes mes forces, et sautai a l'eau. J'étais bon nageur, ayant passé plusieurs fois les grandes vacances a la campagne près de Beynes, une quarantaine de kilomètres a l'Ouest de Paris, dans une petite ferme sise au bord d'un grand étang. La rivière n'était pas bien large, et en trois brasses, avant même qu'il ait eu le temps de boire la tasse, j'avais saisi le gamin par les bretelles et l'avais ramené sur la berge, hurlant de frayeur, mais indemne. Le vieillard s'était raccroché a la brouette renversée, et pagayant d'une main, se débrouilla pour me suivre. Je lui tendis la main pour le tirer sur la terre ferme près du petit garçon, qu'il saisit aussitôt et berça dans ses bras maigres en répétant plaintivement, les yeux morts: "S'il te plait mon petit, ne pleures plus, ne pleures plus, on va bientôt la retrouver, ta maman"... Leurs hardes dégoulinaient sur l'herbe foulée et odorante. Ma mère avait laissé tomber ses bagages au sol et lui frottait doucement le dos, encore toute tourneboulée, ne sachant que faire...
    C'est alors que je m'aperçus qu'en bousculant le garçon a la bicyclette, je l'avais fait tomber a l'eau, et qu'il se débattait désespérément en criant: "A l'aide, je ne sais pas nager!". J'étais encore tellement furieux que ma première pensée fut: "Bon débarras, connard". Son sac a dos trop lourd l'entrainait vers le fond, et il buvait déja sérieusement le bouillon, dérivant avec le courant... Finalement, bon garçon dans l'âme, graine de couillon, j'eu pitié, couru le long de la berge jusqu'a son niveau, sautai de nouveau a l'eau, et nageai vers lui. Le temps que j'arrive, il avait déja disparu, mais je sentis le sac, l'attrapai par les courroies, et le tirai a la surface. Sa tête resurgit, les yeux fous de terreur. Il battait des bras, toussant, crachant, cherchant l'air. Dès qu'il me vit, il s'agrippa a mes épaules, et dans sa panique, me fit plonger a mon tour. Nous sombrâmes tous les deux.
     Heureusement, il s'affola de nouveau et desserra son étreinte. Je tenais toujours les courroies du sac, et me débrouillai pour le tirer en nageant sous l'eau vers le rivage. J'émergeai a quelques brasses du bord, et plusieurs bras solides nous attrapèrent et nous tirâmes sur la terre ferme. Il était livide, et paraissait quasiment noyé. Après avoir détaché son sac a dos et l'avoir allongé a plat ventre dans l'herbe, il fallu pas mal de poussées violentes sur son thorax pour évacuer l'eau des poumons, mais il revint finalement a la vie en hoquetant, toussant, vomissant et crachant. Il respirait péniblement, mais paraissait sauvé. Comme il se retournait sur le dos, le soleil se montra, et un rayon filtrant a travers les feuillages éclairât fortement les méplats de son beau visage a la peau matte et ses longs cheveux de jais tout emmêlés et dégoulinant.
     I ouvrit ses yeux aux prunelles noires, les clignat, et regarda autour de lui, l'air un peu perdu, encore a moitié inconscient, respirant fort et toussant encore de temps a autre. Dès qu'il reprit ses sens, il regarda de tous côtés autour de lui, l'air inquiet, et paru soulagé en voyant son sac a dos tout près. Il se précipita alors sur lui, l'attrapa, et le serra contre lui avec un soulagement évident. Il ne demanda ni ou était son beau vélo, ni ses paquets, qui avaient de toutes façons soit coulé a pic, soit étaient partis flottant au fil de l'eau, a moins qu'ils n'aient acquis de nouveaux propriétaires… A la Guerre comme a la Guerre! 
    Il promena de nouveau son regard de braise autour de lui, encore étourdi, et demanda d'une voix enrouée:  "Qu'est ce qui m'est arrivé? "
     Une femme d'un certain âge qui avait participé au sauvetage me montra alors du doigt en disant: "Vous avez failli vous noyer, ce jeune homme vous a sauvé la vie!".
    Il ne semblait rien se rappeler de ce qui s'était passé pendant les dix dernières minutes…
    Il se saisit de mes deux mains, les serra très fort, puis leva les yeux sur moi, et en me regardant droit dans les yeux, dit avec une grande intensité: "Je te revaudrai ça!".
    Je protestai avec une certaine bougonnerie, soudain irrité: "Tu ne me dois rien du tout, je t'ai juste sorti de l'eau…".
    Mais il répéta avec insistence et passion: " Tu m'as sauvé la vie, et je te revaudrai ça un jour. C'est une dette d'honneur!".
    Puis il se leva, toujours dégoulinant, et ramassa son sac. Comme il avait de la peine a le remettre sur son dos, je soutins le sac le temps qu'il glisse les bras dans les courroies, et j'eu l'impression qu'il était rempli de briques. Je me demandais bien ce qu'il pouvait avoir la dedans. Avant que je puisse dire un mot, il s'était retourné et était parti a grands pas en répétant: "Je te revaudrai ça!".

    Pendant ce temps, ma mère avait pris le petit dans ses bras et le berçait doucement pour le calmer. Le vieil homme était toujours agenouillé dans l'herbe de la berge, l'air complètement hébété, et murmurait doucement une litanie de : "J'ai tout perdu, j'ai tout perdu, j'ai tout perdu…". Ses paquets étaient effectivement soit parti au fil de l'eau, soit avaient coulé, et la vieille brouette en bois maintenant inutile dérivait lentement vers l'aval.


    Il devait être autour de midi. Je ne le savais pas exactement parce que ma montre-bracelet s'était arrêtée. Je pouvais voir de l'eau dedans, et une bulle prise sous le gros cristal rond lui donnait l'air d'un niveau de géomètre.
   Le soleil était maintenant au zénith et cognait fort, ce qui était bien agréable. Il se révélait plutôt efficace a sécher mon costume du Dimanche complètement trempé, qui commençait déjà a "fumer".
   J'étais tout attristé de voir ma belle montre Suisse dans cet état lamentable.  Je fouillai mes poches a la recherche de mon canif a manche de corne, l'ouvrit, et plaçant la lame délicatement sous le bord du couvercle, le fit sauter. Le boitier était plein d'eau, que je laissai s'écouler après avoir retourné la montre. Après l'avoir bien secouée, je la tins au grand soleil et soufflai de toutes mes forces pour en sécher le mouvement , essayant désespérément de la sauver du désastre.
   C'est que voyez vous, ce n'était pas juste une montre ordinaire. C'était ma montre de Première Communion, offerte par mon père, que j'avais choisie moi même parmi les sept présentées a mon choix sur un petit plateau de velours vert a la bijouterie Vapillon plus bas dans la rue. Il ne m'avait fallu qu'un instant pour choisir, c'était celle dont j'avais envie depuis tellement longtemps, et mon père le savait bien. Les six autres n'étaient la que pour faire "un assortiment". LA MONTRE était une superbe montre de pilote Zénith "Spécial" aux aiguilles et numéros lumineux sur cadran noir, mon rêve… La même que portaient au poignet mes héros Mermoz, Saint Exupéry, et les autre as de l'Aéropostale. C'était une grosse montre assez chère pour l'époque, surtout pour un gamin de douze ans, mais j'y avais tellement rêvé et en avait tellement parlé que mon père avait compris ce que cet objet représentait pour moi, et avait demandé a la famille et aux amis de se cotiser pour me l'offrir. Pas de Missel illustré, pas de rond de serviette plaqué argent a mes initiales, pas de coupe papier nickelé a manche de nacre, pas de médaille et de chaine, ni de rosaire a grains d'èbène inutiles. Mon seul autre cadeau, d'ailleurs lui aussi ardemment souhaité, avait été un stylo a plume Waterman a pompe en bakélite marbrée de tons mordorés, qui ne quittait pas ma poche intérieure, et avec lequel je tenais mon "Journal de Bord" a l'encre violette.
   C'était l'heure du déjeuner, et même en pleine Débacle, malgré le chaos qui nous entourait, la vie continuait. Les gens s'´étaient arrêtés, avaient trouvé un petit coin d'herbe fraiche pour s'asseoir, avaient sorti des paniers les victuailles emballées la veille, et cassaient la croûte  comme ci de rien n'était, en se passant une bouteille de gros rouge et en parlant bouffe comme seuls savent faire les Français en mangeant…
   Nous mangions nous aussi notre pain rassis avec du jambon blanc, du saucisson a l'ail, et un morceau de camembert trop fait, que nous partagions avec le vieil homme et le gamin. Il s'appelait Petit Jean Baptiste, et avait près de quatre ans, étant né le 21 Juin, jour du Solstice d'été, et Fête de son Saint patron. Il avait vécu depuis sa naissance a Soisson, ou son père Gilbert Collard avait travaillé comme chaudronnier chez Groebli jusqu'a la mobilisation. Le vieil homme était son grand père Jules, qui était maraicher près de Fontenay aux Roses, et l'avait recueilli avec sa mère, sa fille cadette Germaine lorsqu'ils avaient fui le Blitzkreig avec des milliers de réfugiés Belges. Ils étaient toujours sans nouvelles de son père, et avaient perdu sa mère lors de la dernière attaque de Stukas. Il ne leur restait pour tout bien que leurs vêtements et les quelques bricoles dans leurs poches.
  J'avais enlevé ma veste et l'avait mise a sécher sur un buisson, mais avait gardé par pudeur ma chemise de lin et ma culotte de gros drap de laine qui me grattait les cuisses. Mais je n'en avais cure, et continuai a secouer et souffler sur ma montre pendant tout le repas. Elle avait enfin l'air sèche, et miracle, après l'avoir bien remontée et lui avoir donné l'impulsion rotative idoine, elle se remit en marche. J'´étais ravi, et sautai de joie. La chance me souriait enfin.
   Pas Pour longtemps…                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       
       
 Chapitre 2: " La Camarde"
    Plus tard dans l'après midi

     Rassasiés, reposés, et mon complet veston presque sec, nous reprîmes notre lent cheminement avec les autres fuyards, trainant toujours nos valises trop pleines. Le pauvre vieux père Jules, son petit fils sur les épaules, trop faible pour tenir le rythme, était a la traine, et nous finîmes par les perdre de vue. Chacun pour soi… La chaleur de cette mi-mai nous étouffait.  Je commençais a envisager sérieusement l'abandon de mes auteurs favoris, et ma mère se demandait
 si elle tenait tant que ça a sa vaisselle et ses verres en cristal de Bohème. 
     La cohorte des Parisiens en fuite, épuisée par la marche et la tension nerveuse, paraissait de plus en plus chaotique et désorganisée. Des voitures tombaient en panne d'essence après quelques hoquets désespérés, et après avoir essayé de les pousser un moment en famille, leurs propriétaires épuisés devaient se résigner a les laisser sur place et choisir le coeur brisé parmi leurs trésors ceux qu'ils devraient abandonner. Ce qu'ils abandonnaient était, nature humaine oblige, immédiatement pillé par ceux qui n'avaient jamais rien possédé de tel, et était de nouveau abandonné  pour cause de fatigue et récupéré par d'autres un peu plus loin…
     Les belles torpédos noires au réservoir vide, maintenant poussiéreuses et inutiles, étaient finalement basculées au fossé pour laisser le passages a de vieux chariots aux roues de bois cerclées de fer, attelés de chevaux de trait ou de boeufs blancs qui, même fatigués, avaient l'avantage de pouvoir brouter leur carburant sur les bords du chemin.
     Les bas côtés était jonchées de ces objets hétéroclites, tour a tour aimés, abandonnés, désirés, appropriés, et de nouveau abandonnés: postes de TSF en bakélite brune, horloges a balancier doré et cadran émaillé, décors de cheminée "a l'Antique" en régul patiné façon bronze, guéridons en palissandre plaqué ornés de bronze doré,  gros vases en porcelaine de Sèvre aux  mièvres images de bergères de fantaisie, couples de panthères stylisées en céramique noire, fausses toiles de petits maitres serties tels des joyaux dans des cadres de stuc trop doré. Tout le mauvais goût de la petite bourgeoisie Parisienne était la exposé dans une interminable galerie a ciel ouvert, et la foule défilait en silence et au ralenti devant ces témoins dérisoires de la notoriété et de la respectabilité. Il y avait même la dans l'herbe, veillée par un buste de La Du Barry, incongrue dans ce désordre et bien nettement empilée, une édition complète du Larousse Mensuel Illustré 1935-37 en dix massifs pesants volumes, symbole s'il en est de la bonne éducation. Mais tout le savoir du monde est bien lourd a transporter dans ces conditions, et finalement pas d'une très grande utilité… Un gamin excité se chargeât de faire basculer au fossé cette colonne brisée symbolique des connaissances humaines de l 'époque, et le volume des M s'ouvrit, symbole s'il en est de la bêtise militaire personnifiée, a la page MAGINOT: "Ministre de la Guerre ayant construit une ligne de défense militaire imprenable le long de la frontière Allemande"… Il avait suffit aux Boches de l'ignorer, et de passer par la Belgique, une stratégie qui semble tout a fait a la portée d'un enfant de 13 ans. Ni Joffre, ni Pétain n'y avaient pensé… 
    Des soldats en uniforme débraillé, aux casques bosselés, et aux bandes molletières en vadrouille se mêlaient aux civils. Déserteurs, fuyards, ou officiellement "en retraite", on ne savait trop...
   Une troupe de bonnes soeurs aux cornettes en bataille, menées par un abbé grassouillet aux joues couperosées, portant haut la tête sa barrette a quatre cornes, égrennaient en choeur avec ardeur et une ferveur non feinte leur chapelet, pensant sans aucun doute qu'un Bon Dieu compatissant quelque part au Ciel les entendait et se souciait du sort de leurs insignifiantes petites personnes… Je me dit que la religion était vraiment non seulement "l'opium du peuple"(mon père m'avait lu des extraits de Das Kapital), mais aussi celui de ses troupes ordonnées, moines, moinillons, nonnes, nonnettes et autres "bonnes" frangines. 
     Nous continuâmes péniblement notre cheminement tout l'après midi, traversant des villages quasi déserts, ou seuls quelques vieux en blouse noire, refusant d'abandonner leurs biens au pillage, montaient la garde assis sur le pas de la porte, la pétoire appuyée au chambranle a portée de la main. D'autres s'étaient barricadés derrière leurs portes de chêne, effrayés par ce soudain influx de visiteurs aussi inconnus qu' indésirables, et jetaient de temps en temps un coup d'oeil inquiet par le judas. D'autres encore profitaient de l'aubaine pour vendre un prix exorbitant quelques denrées tirées de leur cave ou de leur saloir. Nous n'avions plus qu'un quignon de pain sec, et ma mère, toujours prévoyante se procura ainsi en échange de quelques billets matière a un chiche diner.
    A chaque fontaine, les marcheurs assoiffés se bousculaient pour remplir qui leurs gourdes, qui des bouteilles portant encore l'étiquette du bon cru qui avait accompagné le casse croûte de midi. Certains aspergeaient d'eau fraiche avec délices leurs visages maculés de poussière et de suie, et des coulées semblables a de grosses larmes noirâtre striaient leurs traits fatigués.
    Ni moi ni ma mère avions pu nous résigner a abandonner aucuns de nos pauvres trésors, et nous trainions donc toujours nos valises pleines, qui nous paraissaient de plus en plus pesantes. D'un morceau de ficelle ramassé sur la route, j'avais fait des bretelles pour porter la mienne dans le dos, si bien qu'au lieu des crampes dans les bras du matin, j'avais maintenant l'impression d'avoir les épaules sciées.    
    Enfin, le soleil se coucha, ses derniers rayons faisant flamboyer la poussière du chemin, et nous décidâmes que de toutes façons,  nous étions trop fatigués pour continuer et qu'il fallait trouver un abris.  De plus, nous pouvions voir derrière la haie une cabane abandonnée au milieu d'un champ en jachère, au bord d'un tout petit ruisseau. La barrière n'était pas fermée, et la porte branlante était entrouverte. Le toit de tôle rouillée avait l'air encore solide. De toutes façons, il faisait beau, mais ma mère préférait ne pas coucher a la belle étoile. La cabane était vide, a part quelques outils rouillés et un peu de foin dans un coin qui nous servirait de litière. Ma mère y jeta son manteau, moi ma veste, nous lâchâmes nos valises sur place et nous nous écroulâmes comme des masses. Les pieds et les mains en sang, le dos douloureux, le souffle court, le ventre vide, nous étions en piteux état. En plus, comme je ne portais pas de chapeau, j'avais pris un coup de soleil sur le nez, qui me brûlait déjà… Nous nous regardâmes en soupirant, et ma mère m'attira a elle et me caressa les cheveux comme quand j'étais petit en chantonnant tout bas:
     "Frère Jacques, Frère Jacques, dormez vous, dormez vous?"
 Je repris en canon tandis qu'elle continuait plus fort:
     "Sonnez les matines, sonnez les matines, ding-dingue-dong, ding-dingue-dong!"
 Nous reprîmes en choeur plus fort encore, et encore plus fort, et enfin a pleine voix. Je me serrai contre elle, et nous nous étreignîmes en pleurant. Point n'était besoin de paroles, nos pensées se rejoignaient au temps du bonheur, a peine un an plus tôt, quand nous chantions la rengaine a quatre voix, avec ma soeur et mon père, encore tous le quatre ensemble, avant que la tempête qui balayait la France ne nous sépare… Je ne sais combien de temps nous restâmes ainsi a sangloter doucement.
    Une voix d'homme nous tira brutalement de notre rêve alors que la porte s'ouvrait en grand avec un grincement strident:
    "Merde alors Marcelle, c'est déjà occupé! Et puis ça fait du joli! "
    Heureusement, l'intrus n'insista pas, et resté sur son malentendus, nous laissa a nos petites affaires… Son immixtion nous avait néanmoins sorti de notre torpeur, et après nous être assis un moment dans le foin, nous décidâmes d'un commun accord d'aller jusqu'au ruisseau nous rafraichir et laver nos plaies. En fait de ruisseau, c'était a peine une rigole, mais le filet d'au fraiche et claire était assez pour nous désaltérer et nous laver. Nous n'y attraperions pas de truite pour notre diner, mais nous avions les quelques provisions achetées a prix fort a ce "profiteur" au dernier village: une bonne tranche de pain de campagne, deux tranches de jambon, et un fromage de chèvre. Arrosés de l'eau pure du ruisseau, jamais choses si simples n'eurent autant de saveur tellement nous étions affamés, et nous les dégustâmes assis dans l'herbe et les pieds dans l'eau fraiche. Il en faut parfois peu pour se ménager un petit moment de parfait bonheur dans un monde au bord de l'abîme.
     La nuit était maintenant presque tombée, et c'est dans l'obscurité naissante que nous regagnâmes a tâtons notre couche de foin odorant. A peine allongé, je m'endormis comme une bête, la tête blottie contre le flanc de ma mère. 
    Au petit matin, des explosions lointaines nous réveillèrent en sursaut. La Guerre était toujours la toute proche, et il était temps de reprendre la fuite… Il ne fallu pas longtemps, puisque nous avions dormi tout habillés, et n'avions pour tout bagages que deux valises et un sac a main. Ma mère me frotta les cheveux pour en faire tomber les brindilles de foin, et s'étant agenouillée au bord du ruisseau pour se mouiller la figure, elle me les humecta des deux mains en se relevant et les lissa tant bien que mal.
    La route était déjà envahie de grappes de piétons hagards aux traits tirés, aux yeux cernés, et aux vêtements froissés. Certains poussaient toujours devant eux depuis Paris des landaus surchargés de paquets. Des charrettes a bras tirées par les parents étaient poussées a hue et a dia par les enfants. De temps a autres, klaxonnant pour qu'on lui laisse la place, passait une voiture qui n'était pas encore tombée en panne d'essence. Nous nous joignîmes au pitoyable défilé en silence, résignés, encore ensommeillés, les yeux cernés, la tête vide…   
    Un camion plein de soldats Français, "nos défenseurs", lâchement en fuite, nous doubla en hâte en nous criant : "Les allemands arrivent!", semant la panique dans leur sillage empoisonné. J'avais honte pour eux…
     La foule affolée essaya bien un moment d'accélérer la cadence, mais rapidement épuisée, reprit bientôt son train de limace fatiguée…Elle me faisait penser a un tableau de Bruegel que j'avais vu en illustration dans un livre d'Art a la Bibliothèque Municipale, et qui m'avait beaucoup impressionné: "La Parabole des Aveugles".
    Nous arrivages sur la place principale d'un gros bourg dont j'ai oublié le nom, ou des jets d'une eau fraiche et abondante jaillissaient des tuyaux de plomb d'une haute fontaine sculptée, et remplissaient un grand bassin de pierre a la margelle usée par le temps. Les gens assoiffés s'y précipitaient dans une bousculade indescriptible pour boire et remplir qui leurs bouteilles, qui leurs gamelles, qui de vieux seaux galvanisés qu'ils trimbalaient accrochés a leur charrette. 
     Ma mère s'effondra sur un banc de bois a l'ombre des platanes, et me tendit nos deux bouteilles vides. Je me faufilai entre les corps d'hommes et de femmes humides de sueur malodorante,   me baissant pour passer entre leurs jambes écartées, et arrivai a me coincer contre le bord du bassin et a y tremper mes bouteilles l'une après l'autre, qui commencèrent a se remplirent lentement en glougloutant.
     Mais un bruit de moteurs se fit soudain entendre dans le ciel,  et se rapprocha rapidement. 
Avant même que nous n'ayons pu chercher un abri, le Stukas sortirent une nouvelle fois des nuages et piquèrent droit sur nous dans un bruit infernal de sirène emballée, tout a la fois menace, signal d'alarme, et transporteurs volants de la camarde. Le crépitement des mitrailleuses affola encore plus la foule qui refluait en désordre pour tenter de de mettre a l'abri des murs centenaires de la vieille égalise délabrée. 
     Par chance, je me trouvais a l'abri agenouillé derrière la margelle de la fontaine. Je m'écrasai au sol, les bras sur la tête, collé au mur de pierres. J'entendais les balles percuter la  la statue qui me dominait et rebondir sur les pavés. J'entendais aussi les cris des malheureux qu'elles transperçaient et qui s'effondraient sur place. Quatre avions se succédèrent en un éclair et reprirent aussitôt de l'altitude en s'éloignant vers le Nord, insouciants du carnage qu'ils laissaient sur la petite place auparavant si paisible. L'attaque n'avais duré que quelques secondes, et je ne savais pas encore que ces quelques secondes changeraient radicalement le cours de ma vie. Je me relevai hébété, et mon premier regard fut en direction du banc ou j'avais laissé ma mère. L'air était chargé de poussière et de fumée, mais je pouvais cependant voir qu'elle y était encore assise. Je m'approchai en titubant, les jambes flageolantes, criant éperdument : "Maman, maman!". Elle me regardait fixement sans un mot, les mains crispées sur la poitrine. Je m'approchai encore, et découvris avec horreur la tache vermeille qui allait s'agrandissant sur le devant de sa robe,  le sang jaillissant a flots d'une blessure qu'elle essayait vainement de comprimer. Elle me regarda droit dans les yeux avec une détresse infinie, un filet de sang perlant a la commissure des lèvres, et expira avec un hoquet, sans un mot, sans une plainte. Ses beaux yeux verts s'éteignirent, soudain terriblement fixes, grand ouverts. Puis sa tête retomba lentement sur sa poitrine et sa crinière rousse se répandit sur ses épaules tel un linceul de feu. Je me tenais la debout a deux pas, frappé de stupeur, incrédule, encore incapable de comprendre ce qui venait d'arriver, et que j'étais maintenant seul. Je tombai a genoux devant elle,  enfoui ma tête dans son giron encore chaud, et me laissai aller a des sanglots convulsifs et désespérés.
    Autour de nous, des gens courraient de droite a gauche, d'autres criaient, pleuraient; d'autres encore, blessés, mourants, imploraient a l'aide… Le docteur du village, un vieil homme a barbiche, le chapeau melon en bataille, portant chemise amidonnée a col cassée en celluloïd avec une lavallière, pantalon a rayures, veste noire et gilet barré d'une chaine de montre en or étincelante s'affairait auprès d'eux, quasi impuissant a cause de la gravité des blessures, qui étaient plutôt du ressort des "bouchers" de l'armée… Il va sans dire que les balles de mitrailleuses gros calibre des  Stukas font des dégâts infiniment plus importants que les plombs de chasses qu'il avait eu maintes fois l'occasion d'extraire au long de  sa longue carrière.
    Je ne sais combien de temps je restai ainsi immobile, pétrifié, recroquevillé dans  ma douleur, ne sachant que faire. Soudain, je sentis un main se poser sur mes épaules, et une voix qui ne semblait pas inconnue dit: "Je suis désolé. Je m'occupe de tout!". C'était mon "ami de rencontre" du matin même, Antoine Mattéi.
   "Appelles moi Tony", dit il encore. Il me pris par les épaules et me releva, puis se pencha sur ma mère, l'allongea sur le banc de pierre froide, et d'un geste très doux, lui ferma les yeux. Sa mâchoire baillait. Il la referma, lui lia son écharpe autour de la tête, et la recouvrit tel un suaire de son châle de soie mauve.
    Les "secours", si on peut les qualifier de tels, s'étaient un peu organisé, sous la direction du vieux docteur et du maire du village. Des portes dégondées, des planches, des plateaux de table servaient de civières. Les blessés étaient transportés au dispensaire, et les morts étaient un a un  alignés dans le choeur de la vieille église voisine. Un curé en soutane râpée, une superbe étole brodée de fil d'or autour du cou, un grand crucifix d'ébène a la main, s'affairait parmi les mourants, oignant les fronts d'un chrême tiré d'une petite jarre d'argent, et marmottant a toute vitesse des extrêmes onctions bâclées: "Per istam sanctam unctionem…, propitius allevet". 
    Les familles indemnes avaient déjà repris la fuite, craignant le retour des avions de chasse. Le maire annonça que le curé allait dire une messe d'enterrement pour les défunts, et les fossoyeurs se mirent au travail pour creuser la dernière demeure de la dizaine de malheureux qui avaient trouvé la mort dans l'attaque. Il n'y avait pas le temps de faire faire des cercueils. 
    Je ramassai le sac a main de ma mère qui était tombé a ses pieds, et le serrai contre ma poitrine.
    Ma mémoire garde peu de traces de la cérémonie, elle aussi plutôt bâclée, si ce n'est la voix de fausset du bedeau, la profusion de coups de goupillon, et un dernier baiser sur la joue déjà froide de ma mère qui me fit réaliser avec violence qu'elle n'était vraiment déjà plus la, et qu'elle ne vivrait désormais plus qu'en moi…
     Une fois les cadavres descendus dans la fosse et nettement empillés, les fossoyeurs les recouvrirent a grands coups de pelle d'une argile rouge collante, et je n'eu que le temps de voler une rose en céramique sur une tombe voisine et de la jeter au hasard entre les mottes en dernier gage d'amour filial. Le petit cimetière de Rochefort et la fosse commune creusée juste contre le mur de l'église sont restés a jamais gravés dans ma mémoire.  
     Tony répéta: "Je suis désolé, mais les Boches arrivent, et il faut continuer. Viens avec moi, je m'occupe de tout.", et me pressa de reprendre la route. Un vélo était la abandonné, et il le récupéra illico. Je ramassai ma valise qui était restée derrière le banc, réussi a y loger le petit sac a main de maroquin pourpre, et après l'avoir soigneusement re ficelée, l'attachai au porte bagages. Tony accrocha son sac a dos au cadre. J'abandonnai sans états d'âme l'argenterie et les verres en cristal de Bohème que ma mère avait vainement essayé de sauver du désastre. Je n'en avais nul usage, et pouvais a peine trainer mon propre chargement de souvenirs. Il se mit en selle, je m'assis a califourchon sur ma valise, et nous voila repartis vers le Sud a grands coups de pédales, zigzagant entre les piétons, les charrettes, les nids de poule, et divers obstacles abandonnés au milieu de la route. Je me cramponnais a sa ceinture pour garder l'équilibre.
    A la tombée de la nuit, nous étions arrivés a Ablis, et Tony décida de s'arrêter et de passer la nuit dans un vieux pigeonnier abandonné, et par les hommes et, heureusement pour nous, aussi par les pigeons. Tandis que je m'installais, il alla faire les yeux doux a la boulangère du coin et réussi a lui acheter un pain rond bien doré et cuit le matin même. Le même manège avec la charcutière lui valu un saucisson sec et une bouteille de vin rouge. Assis dans l'herbe, adossés au vieux mur de pierre encore chaud du pigeonnier, il ne nous fallu pas longtemps pour dévorer ces victuailles. Nous nous passions la bouteille, et buvions au goulot a tour de rôle un âpre Cahors qui me réchauffait les entrailles, si ce n'était le coeur. Je n'avais jamais bu jusqu'alors de vin pur, mais Tony prétendit que ça me ferait du bien... 
     La nuit tombait, le village était calme, j'avais le ventre plein, un petit coup dans le nez,  et un grillon chantait tout près de mon oreille dans un trou du vieux mur encore chaud du soleil de la journée. Je m'engourdis en pensant au temps d'avant, avant la guerre, avant que mon père ne parte, avant que les boches arrivent, lorsque nous étions une famille heureuse... 

Chapitre 3: " L'Avant Guerre"
 Boulogne -Billancourt, 1938

    Nous habitions un petit appartement chichement meublé au dessus de "la Clinique Populaire", dans un immeuble décrépit située au coin de la Rue de Billancourt et de la Sente de la Pyramide, au coeur d'un quartier résidentiel ouvrier de Boulogne-Billancourt, pas très loin des Usines Renault, de la gare, des Usines Farman, et des Studios de cinéma de Billancourt. Nous y vivions depuis quatre ans. Mon père était le médecin et chirurgien résident de la petite clinique dispensaire, qui appartenait toujours au vieux Docteur Bonnafout. Il l'avait ouverte 30 ans plus tôt au sortir de la Grande Guerre dans ce quartier populaire et défavorisé, et y avait vécu sa vocation comme un sacerdoce, soignant tous ceux qui venaient a lui, parfois a crédit, parfois au troc, et souvent pro bono. Il y avait a peu près englouti la petite fortune que lui avait laissé son père, et terminait ses jours dans l'appartement voisin en compagnie d'une vieille servante de la famille qui préparait les repas, que nous prenions en commun. Il avait eu la chance de trouver en mon père une âme soeur pour continuer son oeuvre, le coeur a gauche, lecteur de Jaurès, admirateur de Blum, adhérent de la première heure du Front Populaire qui avait porté Blum au pouvoir deux ans plus tôt. Ma mère le soutenait et le secondait de son mieux, aidée d'une "verseuse de pots".  
     Mon père Erik Frank était d'origine Allemande, mais de mère Francaise, né a Fribourg en 1899. Parlant couramment le Francais, il était venu terminer ses études de médecine a Paris en 1925, afin d'apprendre les dernières techniques mises au point par le célèbre chirurgien Victor Pauchet au petit Hopital Saint Michel. Il y avait rencontré ma mère qui y était infirmière, et s'appelait alors Sarah Margolis. Son père Isaak Margolis, seul rejeton d'une famille de commerçants juifs de Kiev, avait fui la Russie a 16 ans a la suite des pogroms déclenchés par Alexandre III en 1880, ou ses parents avaient été massacrés et leur magasin incendié, et avait trouvé asile a Paris auprès de cousins éloignés. N'étant pas pratiquant, et ayant un don pour les langues, il s'était bien intégré a la société Française, et avait épousé sur le tard Emilienne Bouvard, une bonne catholique originaire de Beynes, ou ses parents avaient une petite exploitation agricole. Leur fille unique était née en 1902, et il avait tenu a l'appeler Sarah en mémoire de sa mère assassinée, au grand dam du curé de la paroisse. Elle avait eu la chance que son père soit trop vieux pour servir de viande a canons, et que sa mère tienne a ce qu'elle reçoive l'éducation a laquelle elle n'avait pas eu droit. A la fin de la Guerre de 14,  elle était entrée a l'école d'infirmières de la Salpètrière, et y avait obtenu l'un des premiers Brevets d'Infirmière Diplômée d'Etat.
   Mes parents s'étaient mariés en 1926, et j'étais né peu après. La grande photo qui trônait sur le manteau de la cheminée de marbre noir témoignait de leur rayonnante beauté. Mon père, sa touffe de cheveux blonds soigneusement disciplinée par de la Gomina, ses yeux d'un bleu très pâle scintillants de bonheur, son sourire enjôleur aux lèvres, le noeud papillon de travers, avait l'air un peu dégingandé dans son complet veston croisé malgré ses larges épaules. Maman, toute menue a ses côtés dans une robe de mariée courte très simple a taille basse, un bonnet retenant ses boucles noires, dardait sur lui le feu de ses grands yeux verts, un gros bouquet d'hortensias blancs dans les bras.  Il y avait aussi une photo de la noce au grand complet sur les escaliers de l'Eglise de Beynes, ainsi que quelques autres photos de famille, dans un album relié de cuir vert rangé dans le tiroir du haut du secrétaire en bois de rose. Parfois, maman le sortait,  et nous le feuilletions ensemble. J'adorais l'odeur de cuir et de vieux papier, et prenais grand plaisir a ces moments de complicité, ou elle me racontait l'histoire de ma famille, illustrée de photos sépia cartonnées encastrées dans d'épaisses pages dorées sur tranche. 
    La photo de mariage des ses parents quelques 26 ans plus tôt sur les mêmes escalier datait de 1900, et je trouvais étrange ces mariés déjà vieux tout habillés de noir, a part le voile de mariée de tulle brodé blanc et les fleurs d'oranger. Grand père Margolis, encore bel homme a quarante six ans, portait une énorme moustache se terminant en pointes, un haut col cassé et une longue redingote boutonnée. La grand mère Emilienne, une  Bouvard de Beynes, avait quinze ans de moins et lui ressemblait comme une jeune soeur. 
    L'arrière grand père Auguste Bouvard avait fait la guerre de 1870, et j'aimais particulièrement regarder sa photo coloriée, montée en vignette sous des pampres ornés d'un phylactère disant bien entendu "Honneur et Patrie". Il avait fière allure, sabre au côté, en grand uniforme de hussard, pantalon rouge, vareuse bleu clair couverte de brandebourgs, gants de chevreau blancs a la main, le manteau jeté négligemment sur les épaules… Je ne me suis rendu compte que beaucoup plus tard que ce n'était qu'un déguisement de photographe, et qu'il n'était en fait que simple trouffion dans la piétaille. Il avait cependant été "glorieusement" blessé a Wissembourg sous les ordres de Mac Mahon, et avait donc pu rentrer a Beynes assez rapidement s'occuper de ses vaches avec une belle médaille dorée a ruban bleu-blanc-rouge, quoique avec une jambe en moins. Il n'avait jamais plus eu l'occasion de rencontrer de photographe, et était resté quiet dans sa campagne sur son pilon en suivant de très loin la capture de l'Empereur, la République, la capitulation honteuse de Bazaines, la prise de Paris,  la victoire des Prussiens et la Commune. Il considérait apparemment que s'il donnait encore un morceau de sa chair a la Patrie, il ne serait plus bon a rien, et attendit des jours meilleurs en engraissant ses cochons et en pêchant dans l'étang voisin… On ne sait a quoi ressemblait son épouse, qui après avoir donné naissance a une fille en 1886, était morte d'une fièvre puerpérale  quelques jours après l'accouchement d'un petit garçon mort né vers 1890. Il l'avait suivie dans la tombe quatre ans plus tard, laissant sa fille unique Emilienne a une soeur cadette qui l'avait élevée comme sienne.
    Il y avait aussi un daguerréotype de la Grand Mère Bouvard habillée de blanc des pieds a la tête comme un petite mariée pour sa première communion, une photo de maman elle aussi en communiante portant la même robe avec un bonnet serré a la dernière mode prise juste avant la guerre de 14 a Paris, une autre enfin de maman en infirmière dans la cour de la Salpétrière le jour de la remise de son diplôme. 
    Bizarrement perdue dans cette collection de portraits, une image énigmatique d'un gros homme masqué tout rembourré d'oreillers de plume, portant de gros noeuds a ses chaussures, et tenant par la selle un vélocipède abondamment décoré de rubans. Il ressemblait a une grenouille géante, si ce n'était la bordure de fourrure autour du masque aux yeux globuleux de batracien, qui laisserait a supposer qu'il avait plutôt du vouloir se déguiser en gorille… Enfin, parmi d'autres images délavées d'inconnus barbus et moustachus, ma préférée: grand père Margolis trônant comme un roi sur la banquette arrière d'une Panhard et Levassor 1905, tiré a quatre épingles et couronné d'un chapeau melon. Cela paraissait bien sûr maintenant un peu démodé, et je préférais bien entendu comme mes copains férus de mécanique "moderne" les lignes gracieuses du dernier modèle Vivasport de Renault, fabriqué dans les immenses usines toute proches, mais tout de même!
    J'allais alors a l'Ecole Publique Laique voisine, ou j'étais si j'en crois les annotations dans mes carnets de notes "Très Bon Elève, mais avec tendance a se dissiper"… Conformément aux souhaits de maman, tous les matins avant la classe, j'allais au catéchisme a la Salle Jeanne d'Arc. La aussi, j'excellais lors des interrogations hebdomadaires du marguillier a régurgiter tel un perroquet bien dressé les formules toutes faites du genre: "Nous sommes au Monde pour connaitre Dieu, l'aimer, le servir et ainsi parvenir au ciel, le séjour de l'éternelle et suprême félicité", que je m'empressais d'ailleurs d'oublier. Je fus premier ex-eco avec un garçon que je n'aimais guère, et qui devint cependant  automatiquement mon "camarade de Première Communion". La préparation du Grand Jour fut longue et minutieuse, avec multiple répétitions du défilé solennel dans la travée centrale de l'Eglise Notre Dame, en rang par deux, cierges éteints a la main, avec bien entendu les deux premiers en catéchisme en tête et les "cancres" a la queue. Je me disais que peut être c'étaient eux les premiers après tout, puisque Jésus avait parait il dit ces paroles que j'avais quelque mal a comprendre: "Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est a eux"…
     Une partie particulièrement importante et hardue de la préparation consista a nous apprendre a recevoir l'hostie sur la langue tendue, fermer la bouche en rentrant la langue, la retourner, la rouler délicatement en évitant a tout prix qu'elle se colle au palais, et a l'avaler entière, sans commettre le sacrilège, honte suprême et péché quasiment mortel, d'amputer le Corps du Christ d'un coup de dent sacrilège. Le curé en avait une véritable phobie, une theophagiophobie pourrait on dire, forme particulière de theophobie a ajouter aux agora, achluo, achmo, algo, anupta, athazagora, blemno, ithyphallo, et les centaines d'autres déjà répertoriées. Et il avait réussi a nous la communiquer. Nous nous voyions déjà la bouche pleine du sang sacré giclant de la morsure, contraints d'avaler le mélange plutôt que de risquer de le vomir sur les dalles centenaires. On ne pouvait tout de même pas éponger le corps du Christ avec une serpillière comme du pipi de chat. La transsubstantiation et le Concile deTrente sont toujours a l'ordre du jour. Ce fut d'ailleurs le sujet d'une grave querelle théologique, et nous sentions le risque d'excommunication planer sur nos têtes. L'alternative de se retrouver avec l'hostie collée au palais paraissait presque enviable. Il suffisait de patienter, et de laisser le Bon Dieu se dissoudre lentement dans les sécrétions salivaires en réprimant les haut le coeur. Je me demande parfois si les Docteurs de l'Eglise connaissaient le processus digestif, et se sont posés le question de savoir ce qu'il advenait des monceaux de "Corpus Christi" malodorant déposés dans les latrines de la ville et derrière les buissons de la campagne avoisinante le Lundi Saint… 
      Il fallait être a l'Ecole un peu avant neuf heures et je devais parfois courir pour arriver a temps. A neuf heures pile, sur un coup de sifflet du Directeur, tout le monde se mettait en file indienne devant l'entrée de sa classe, ou attendait "le Maitre". Sur un autre coup de sifflet, nous entrions dans la salle et gagnions nos double bureaux de chêne massif au banc patiné par des milliers de fonds de culotte, tout comme l'abattant l'était par autant de paires de coudes. Ils étaient la depuis l'ouverture de l'Ecole sous Jules Ferry, et portaient les cicatrices infligées par les canifs et les encriers de garnements de tout poil depuis plus de cinquante ans. Deux encriers de porcelaine blanche dans leur trou respectifs étaient remplis d'encre violette que le Maitre fabriquait en versant un tube de cristaux dans un litre d'eau. Une profonde rainure permettait de poser son porte plume et ses crayons. " Asseyez vous! Bras croisés!". Et la journée commençait par une leçon de "Morale", un sujet  qui devait malheureusement éventuellement disparaitre des programmes scolaires.
      Il n'était alors pas du tout politiquement incorrect de faire porter des bonnets d'âne aux paresseux et aux simple d'esprit. Etaient aussi parfaitement naturels les stations "au coin" a genoux sur un bâton, les coups de règle sur les trois doigts joints, les tours de classe tirés par l'oreille, et les qualificatifs d'idiot, imbécile, crétin, abruti, débile, taré, minus, âne(parfois bâté), bourrique, bon a rien, nullité, etc… Pour nous aussi bien que pour "le Maitre", ces termes étaient  plus ou moins équivalents et interchangeables. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'appris qu'il s'agissait pour certains de termes médicaux précisément définis au début du siècle par Binet et Simon, et qu'il existait une hiérarchie de la débilité mentale. Un idiot était médicalement pire qu'un imbécile, lequel était lui même intellectuellement inférieur a un crétin. Les pays de langues Anglaise, encore plus précis, plaçaient le "Moron"(QI 55-85) entre l'Imbécile(QI 40-55) et le Crétin(QI 70-85), le pauvre Idiot devant se contenter d'un QI en dessous de 40, ce qui correspondait grosso modo d'après certains "scientifiques" au niveau d'un gorille. Après tout, nous partageons avec ces derniers 98 pour cent de nos gènes, pourquoi ne seraient ils pas sur la liste! Reste a savoir ou placer l'abruti et la bourrique...
      J'avais deux bons copains dans ma classe, et dès la sortie a quatre heures, nous allions courir les rues. Ils étaient comme moi férus de mécanique et d'aventure, et lisaient Jules Vernes, qui 30 ans après sa mort, faisait encore figure de visionnaire dans certains domaines. Certes, le tour du monde avait maintenant été bouclé par avion, mais en 175 jours. Le Zeppelin lui, l'avait accompli en 21 jours.
     Gustave Bourachon, dit Gus, était le fils du chef de Gare, et connaissait tout des locomotives. On parcourait avec lui les hangars ou des mécanos maculés de cambouis travaillaient sur les monstres a vapeur. Le père de Julius Azimov, dit Julot, travaillait chez Farman, et nous avions par lui accès a ces ateliers d'aviation a l'histoire fabuleuse ou il travaillait a la construction des Moustiques, un tout petit avion de Sport en bois et toile. Enfin, le troisième larron, et pas le moindre, Victor Merlin, dit l'Enchanteur, ou simplement Vic selon les circonstances, avait un talent de conteur sans pareil, et inventait des histoires fabuleuses inspirées de Jules Vernes, Fennimore Cooper, Robert Stevenson et Saint Exupéry. Il était bien entendu toujours premier en Rédaction, et un sérieux concurrent en tête de classe. Son père était contremaitre chez Renault sur la chaine de la Primaquatre 14CV. Leurs mères, contrairement a la mienne, et comme la plupart des femmes mariées a l'époque, "ne travaillaient pas", façon de parler… Elles se contentaient de se lever les premières pour allumer le feu, aller chercher l'eau, préparer le petit déjeuner, faire la vaisselle, le ménage, la lessive, le repassage, le ravaudage, les courses, la cuisine et autres taches ménagères. 
     J'avais reçu parmi d'autre Livres de Prix a la fin de l'année un énorme volume juste publié par le magazine "L'Illustration" intitulé "Histoire de l'Aéronautique". Il avait pour pendant  "l'Histoire de la Locomotion Terrestre" en deux volumes. Gus s'était débrouillé pour racheter a un copain en sacrifiant sa collection d'Agates celui concernant sa passion particulière: "Les Chemins de Fer", et l'Enchanteur avait échangé contre "L'Ile Mystérieuse" et "Robinson Crusoe" qu'il connaissait par coeur le dernier volume de la collection: " La Voiture, le Cycle, l"Automobile". Nous avions donc en commun toute la technologie de l'époque. Enfin, Julot avait eu pour Noel "Vol de Nuit" de Saint Exupéry, qui avait fait le tour de la bande et nous avait enthousiasmés. Notre héro devait d'ailleurs voler bientôt sur un énorme Farman F222 construit en partie par son père, et équipé de quatre moteurs Gnome et Rhone construits eux aussi a deux pas de chez nous. Billancourt était alors un haut lieu de la construction Aéronautique et Automobile, choses qui nous passionnaient.
     La technologie n'était pas loin s'en faut notre seule préoccupation. Les hormones commençaient a bouillonner, et une partie de notre temps était consacré a essayer de découvrir ce qui se cachait exactement sous les jupes plissées de nos condisciples de l'Ecole de Filles. J'avais parfois joué il y avait déjà quelques années avec une petite voisine dans les greniers du marchand de bière et de limonade voisin, et nous avions après des négociations prolongées satisfait notre curiosité en baissant brièvement d'un commun accord et en parfaite synchronisation nos culottes Petit Bateau, face a face dans un recoin de l'entrepôt. J'avais été très déçu de constater qu'il n'y avait en fait rien du tout dans la culotte des filles. Ce n'est pas qu'il y en avait tellement gros dans la mienne a l'époque, mais tout de même… Et puis avec la puberté, les choses avaient commencé a prendre de l'importance, surtout les matins au réveil. 
     Les investigations menées chez le marchand de journaux n'avaient cependant toujours pas levé le mystère féminin. Nous avions déniché les revues "Naturistes" presque cachées derrière d'autres magazines sur le rayon du bas au fond du magasin , et pendant que l'un d'entre nous faisait le guet, accroupis derrière les piles de livres, nous les feuilletions avec anxiété, curiosité et concupiscence. Il n'y avait pourtant toujours absolument rien au bas du ventre de ces belles filles souriantes aux seins pigeonnants. Il y avait parfois sur la couverture un "Bon pour visiter un Camp Naturiste", et si nous avions su ou en trouver un, nous l'aurions sans doute découpé, mais nul n'avait pu nous renseigner sur leur location, et nous en étions venus a douter de leur existence.  
     Mais si nous ne savions pas encore très exactement a quoi correspondait le mouvement de l'index entre les doigts recourbés que faisaient les plus grands, nous avions découvert depuis quelques temps les plaisirs solitaires. Cela se faisait généralement, du moins pour ma part, le soir au lit, a plat ventre devant un catalogue de La Samaritaine ouvert a la page des sous vêtements féminins, avec un mouchoir glissé dans le slip pour absorber les fluides séminaux émis après un simulacre de coit. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si ma mère remarquait la rigidité des mouchoirs qui allaient au lavage chaque fin de semaine. J'avais la chance d'avoir une chambre a moi, et étais donc a peu près sûr de ne pas être dérangé durant ces activés probablement illicites. C'était un point resté indéfini, n'en ayant jamais parlé a personne, et personne ne m'en ayant jamais parlé, mais elles avaient un parfum de fruit défendu, et le plaisir quoique bref était assez intense pour provoquer un certain sentiment de culpabilité. A tout hasard, je gardais a portée de la main "Le Dernier des Mohicans" ou "La Case de l'Oncle Tom", en cas d'intrusion intempestive. 
     Je dois en toute honnêteté avouer que les hormones étaient en une telle ébullition a l'époque que ces séances nocturnes n'étaient pas toujours suffisantes, et devaient parfois être supplémentées de performances diurnes. Le terme "performance" est d'ailleurs assez descriptif en l'occurrence. Non seulement j'avais ma propre chambre, mais cette chambre avait un très grand placard qui fermait a clef. Nous n'avions guère d'argent, mon père étant médecin par vocation plutôt que par cupidité, et la situation économique n'étant guère favorable a sa clientèle ouvrière et laborieuse, malgré les efforts de Leon Blum et du Front Populaire. Mais il était "bricoleur". Il m'avait fabriqué un "cozy" en disséquant a la scie a cadre de vieux "bois de lit", et avait posé au sol a ma demande un linoléum bon marché a carreaux noir et blanc. L'ameublement était complété par un petit meuble a deux portes offert par ma grand mère pour le Jour de l'An, ou je rangeais mes quelques vêtements, une chaise paillée, et un fauteuil Voltaire au haut dossier qu'il avait re tapissé d'un reps rouge de mon choix.  J'en reviens au linoléum, qui en l'occurrence a son importance, et dont les carreaux noir et blanc avaient environ trente centimètre de côté.
     Un jour, au cours d'une autre visite clandestine aux belles nudistes, nous n'avions pas pu résister, et avions chipé une revue, que nous avions partagé équitablement en quatre, cinq pages chacun, tirées a la courte paille. J'avais caché mon trésor dans un magazine de Mickey glissé sous une boite a chaussures sur le rayon du haut de mon placard. Il me fallait tirer la chaise jusque dans le placard pour l'atteindre. J'en viens au fait. Je m'assurais d'abord que mes parent étaient absents ou occupés, je fermais soigneusement la porte de ma chambre, ouvrais le placard, tirais la chaise sous l'étagère, et fermais la porte a clef. Après avoir récupéré Mickey, baissé ma culotte et mon slip petit bateau, je m'installais sur la chaise dont la paille un peu rêche me grattait les fesses, et commençais a regarder les belles nudistes. Il ne fallait pas grand chose et pas longtemps alors pour "être prêt", et pas bien longtemps non plus pour obtenir une belle éjaculation. Je ne savais rien alors de l'artillerie et de la ballistique, mais ce sont après tout les Français qui ont perfectionné l'art du pointage des mortiers, et l'instinct suggère qu'une élévation de quarante cinq degrés était grosso modo correcte en l'occurrence, ce qui permettait une belle trajectoire parabolique d'une portée moyenne de trois a quatre carreaux, soit un bon mètre. Avec l'entrainement, j'arrivai a près d'un mètre vingt de portée, a condition bien sûr que la chaise soit le dossier au mur. J'aurais risqué autrement de tacher le papier peint…Le mouchoir, toujours le même servait a essuyer tout ça... Ces chose étaient du domaine privé, et restaient alors totalement secrètes. Nous n'en parlions jamais entre nous.
     Les "grandes vacances" de 1938 étaient arrivées en Juin, et allaient durer jusqu'en Octobre. L'avènement du Front Populaire en 1936 avait changé la donne, et après les grèves quasi générales et les occupations d'usines qui avaient paralysé le pays, le patronat avait dû lâcher du lest et signer les Accords de Matignon: augmentation des salaires, droit syndical, semaine de quarante heures et, du jamais vu, quinze jours de congés payés. C'était maintenant la troisième fois que les travailleurs Parisiens pouvaient partir en vacances en Juillet-Aout et "aller a la mer", ou du moins se reposer et aller en famille pique niquer  au bois de Boulogne, PENDANT LA SEMAINE!… Avec son accent inimitable, Maurice Chevalier chantait a la radio "Dans la Vie Faut pas s'en Faire…", et tout le monde reprenait en choeur "Moi je n'm'en fais pas!".
  Quelques années plus tôt, a la mort de ses parent, ma mère avait hérité de la petite ferme de Beynes ou sa mère était née, mais nous n'avions jamais eu le temps d'y retourner, bien que ce ne fut qu'a une cinquantaine de kilomètres de Paris. Cette année la, mes parents décidèrent que le bon air de la campagne me ferait du bien, et que nous y passerions le mois d'Aout. Papa avait trouvé un "remplaçant" pour s'occuper de la clinique en son absence.  Je n'eu pas trop de mal a les convaincre que le bon air me ferait encore plus de bien si mes copains courraient la campagne avec moi, et la famille s'agrandit donc temporairement de trois garnements supplémentaires. Le vieux Docteur Bonnafout refusa de nous accompagner, mais nous proposa généreusement de nous prêter son automobile que de toutes façons il ne conduisait plus guère. C'était une torpédo Citroen B12 jaune vif modèle 1926 qui avait encore fière allure malgré ses douze ans d'âge, car il l'avait toujours bichonnée et gardée au garage. Bon, ce n'était pas une Viva Quatre dernier modèle aux lignes "ultra modernes", mais c'était quand même pour nous la liberté des déplacements. Nous voila donc partis de grand matin par un beau soleil, la capote baissée, et une grosse malle d'osier pleine de draps, de vêtements et de victuailles attachée a l'arrière par de larges courroies de cuir. Je trônais comme un petit prince entre mes parents sur la banquette avant, avec sur les genoux mon "Histoire de l'Aéronautique" qui n'avait pas trouvé place dans la malle et que j'avais décidé au dernier moment d'emporter quand même, tandis que Julot était encadré de Gus et de Vic sur la banquette arrière, les pieds posés sur leurs sacs. La voiture n'avait en effet pas de coffre, mais peu leur importait, car c'était la première fois qu'ils partaient en vacances ainsi, et nous étions heureux de partir ensemble.
  Il n'y avait a l'époque pas tellement de monde sur la route, même un début Aout, la grande majorité des vacanciers n'ayant pas de voiture et prenant le train. Après avoir descendu l'Avenue du Pont de Sèvres et traversé la Seine, nous continuâmes sur Versailles par Sèvres en longeant la Manufacture, les Bois de Chaville, et Viroflay. L'avenue de Paris nous mena directement face aux grilles du Château de Versailles, et comme il était encore tôt et qu'aucun des enfants n'avait encore eu le privilège d'en faire la visite, mes parents décidèrent que nous ferions halte jusqu'à midi pour nous y promener.  Une fois la voiture garée sur la Place d'Armes, nous commençâmes par un petit tour dans les Grandes Ecuries Royales, puis les Petites Ecuries Royales. Je fis la remarque qu'elles me paraissaient a peu près identiques, et mon père nous expliqua qu'elles ne devaient en fait pas leur noms a leur taille, mais a leur usage, la "Petite" étant réservée aux voitures et leurs attelages, alors que la "Grande" abritait les nobles chevaux de selle et le manège. Comme aucun d'entre nous ne savait quoi que ce soit sur les chevaux, il dû d'ailleurs aussi nous expliquer que le "manège" en question n'était pas une ronde de chevaux de bois, mais servait a l'apprentissage des Arts de l'Equitation… Nous eûmes même la chance d'y voir quelques cavaliers en grande tenue faire travailler a leurs belles montures des figures de "Dressage", un autre mot dont mon père nous expliquât la signification.

Sunday, September 22, 2013

Post 17: The Book

   OK, it seems to me the script works well to get us from the present day into the 1940 action. But somehow, the written story doesn't need that transition, and I want to get directly into the story.
  Plus, I have been beating around the bush long enough, and it's time to give it a go:

                       Part One: "LA DEBACLE"

                     Chapter 1: 'The Bridge"
May 13, 1940
A Country Road South of Paris
     I was in a foul mood. My heavy wool jacket soaked in my own stinking sweat was weighing my 13 year old shoulders down. My blistered feet and hands hurt as hell. My arms felt as if they had been stretched on the rack, taking turns lugging my bulging brown boiled cardboard suitcase down the narrow country road, while clinging desperately to my mother, in an apocalyptic chaos of cars, trucks, carts, bicycles and humans, all loaded to the gills with everything from striped mattresses and rattan armchairs to cuckoo clocks and bird cages still occupied by half dead silent yellow canaries."
    Twice since we had fled Paris at dawn, German "Stukas" had suddenly emerged from the low clouds in a wild dive, frightening us with their loud siren wail, and flown just barely over our heads down a straight section of the road, unleashing the deadly staccato of their machine guns on the terrified trapped crowd crouching and scrambling for cover towards the hedges, or diving head first into the muddy drainage ditches in a futile attempt at salvation. Many would remain in that mud, face down, and the trickle of dirty brown water would slowly turn red. 
    Burning cars, still smoking blown up trucks, mangled dead bodies, sobbing mothers and hysterically crying lost children had been left behind in that visceral panic that overwhelmed all of us and made us run away as fast and as far as we possibly could, extinguishing all feelings of compassion and basic humanity.
  But just ahead, everything stopped. Only a pile of rubble was left of the centuries old stone bridge that crossed the river Alène, the name still visible on the crooked signpost that was all that remained up after the bombing. Two large abandoned trucks almost completely obstructed the road and left only a very narrow passage by the edge of the stream. Rough hewn weathered planks had been torn off the bed of one of the trucks and laid across the water as a makeshift bridge. We had to wait for our turn in line. There was a skinny old man just ahead of us, wearing tattered blue overalls and a brown plaid cap. He was trying to get across pushing an unsteady antique wooden wheelbarrow overloaded with packages and burlap bags, on top of which a small blond boy in soiled yellow bloomers was sitting in tears, calling for his mother.
    Suddenly, a boy about my age carrying an old leather rucksack and pushing the handlebars of a brand new "Hirondelle" came from behind, shoved me aside, and yelled at the old man to get out of his way. Startled, the man shook and wavered, gravity pulled at the top heavy wheelbarrow, he lost his balance, and fell into the river with his precious load.
    I saw red, shoved the bastard aside, and jumped into the river to rescue the boy. I was a good swimmer, having spent several summer vacations with my parents on a small farm with a big pond near Beynes, a small town about 30 miles East of Paris. I caught the screaming boy before he even sunk, and dragged him back to shore. The old man was hanging on to the floating overturned wheelbarrow and somehow paddled back to shore on his own. He grabbed the hand I was holding out, and I pulled him back on the bank near the boy, whom he embraced and hugged, saying over and over: "I am so sorry, please don't cry, we will find your mommy soon...". My mother had dropped her bags to the ground and was patting his back, still stunned by the quick turn of events, not knowing what to do.
   That's when I realized I had pushed the nasty kid back so hard he had fallen into the river too and was struggling to stay afloat, pulled under by his heavy backpack, yelling: "Somebody help me PLEASE, I can't swim!
   I was still so mad at him my first thought was: "Good riddance, Reap what you sow, Asshole"!  But he was totally panicked, swallowing water, drifting slowly downstream, yelling for help, and going under for good. I took pity on him, ran down the bank , jumped in again, and vigorously swam to him. By the time I reached him, only a waiving arm remained out of the water for me to latch onto. My other hand felt his bag underwater, grabbed the straps, and pulled up. It felt heavy as lead. His head came out gasping for air, eyes wild with primal fear, arms flailing. He grabbed me and pulled himself up, pushing me under water in the process, and we both sunk. 

   Luckily, he let go of me and, still holding on to the straps of his heavy backpack, I managed to swim underwater towards the bank. I emerged only a few strokes away, and several helping hands grabbed us and pulled us ashore. He had almost drowned by then, and after taking the bag off his back, we laid him face down and had to sit on him and push hard on his chest to get the water out of his lungs and get him breathing again, amidst a lot of vomiting, coughing and spitting. As we turned him on his back, the sun came out and a ray coming through the trees washed his dark chiseled face and the mess of his long wet straight black hair. He opened his dark eyes, blinked and looked around, puzzled for a few moments. As soon as he was able to think, he quickly looked all around, and breathed a sigh of relief seeing his rucksack nearby. He lunged at it feverishly, grabbed it, and held onto it hard, seemingly satisfied. He didn't ask about the new bike nor about the other bundles, which had either sunk, floated downstream, or found new owners…
     He looked around, still dazed, and asked:  "What happened?"
     A middle aged woman who had helped pound the water out of him pointed at me and said:  "You almost drowned, this young man saved your life."
    He didn't seem to have a clue of what had happened in the last ten minutes. 
    He grabbed both of my hands and squeezed them hard, then looked up to me right in the eyes and said very intensely:  "I OWE YOU!". 
    I protested grudgingly: "You owe me nothing, I just got you out of the water".
    But he insisted: "In MY book, I OWE YOU, BIG TIME, and I will pay you back some day…".
    He then got up, still soaking wet, and picked up his bag. As he was struggling to get the straps over his shoulders, I helped, and it felt like the bag was filled with bricks… I wondered what that could be…Before I could say anything, he turned around and walked away, repeating: "I will pay you back some day!".
   While all this was going on, my mother had picked up the little boy and was doing her best to calm him down. The old man was still kneeling, seemingly wiped out, and was now himself crying quietly and murmuring a litany of: "I have lost everything, I have lost everything, I have lost everything…". His bundles had either floated away or sunk , and the old wheelbarrow was slowly drifting away, useless anyhow.
   

                       Chapter 2: " The Grim Reaper"
                                      Later that Day 
    It was by now around the middle of the day. I couldn't tell exactly, as my wristwatch had stopped, and I could see water inside and a bubble trapped under the big round crystal made it look like a bull's eye level. The sun was high and hot, which felt good and was actually doing a pretty decent job drying my wet Sunday Suit, from which rose smoke like vapor.
   I was quite upset because my prized Swiss wristwatch looked utterly ruined. I fumbled though my wet pockets and found my familiar small bone handled pocket knife. I carefully slid the blade under the edge of the back cover and popped it open. It was full of muddy water. I turned the watch over and let it drain, then held it to the sun and blew on it as hard as I could  in a desperate attempt to save it.
    The thing is, this was no ordinary watch. My father had given it to me as my First Communion present, and I had picked it myself among the seven laid out on a black velvet tray for me to choose at the little Vapillon Jewelry Store down the block. It only took me a split second to pick it, that was the only one I ever wanted, and my Dad knew it very well. The other six were just window dressing… THE WATCH was a Zenith "Special" black dial Pilot watch with luminescent numbers, my dream…That was the same one my heroes Mermoz, Saint Exupéry and other pilots from the Aeropostale wore. It was an expensive watch at the time, especially for a twelve year old, but I had dreamed of it and talked about it so much my wonderful father had understood just how much it meant to me, and gotten friends and family to contribute to the purchase. 
  It was lunchtime, and even in the chaos of "la Débâcle", life goes on…People stopped, found a nice grassy spot to sit, opened a basket, and proceeded to eat what they had packed the night before for the trip, passing around bottles of wine and commenting on the food as the French always do.
  And so we too ate our bread with Paris ham, saucisson, and a piece of Camembert, which we shared with the old man and the little boy. He had stopped crying, and was sucking a slice of saucisson with delight. His name was Petit Jean Baptiste, and he was almost four, having been born on June 21, the day of the Summer Solstice and of the Feast Day of his namesake. He had lived all of his short life with his parents in Soisson, where his father Gilbert worked as a coppersmith for Groebli until the mobilization.The old man was his grandfather Jules, who had a small farm in Fontenay aux Roses, and had taken him in a couple of weeks before with his mother, his daughter Germaine, when they had fled the German "Blitzkrieg" with thousands of Belgium refugiees. They had no news from his father, and had gotten separated from his mother during the last attack of the Stukas. All they had left now were the wet clothes on their backs.
  I had taken my soaked jacket off and laid it on a bush to dry, but kept my linen shirt and wool pants on. They felt very rough and scratchy on my thighs, but Ididn't care, and kept blowing at my watch and shaking the water out throughout the meal. It looked OK now, and lo and behold, after I wound it and gave it the proper rotational impulsion, it started ticking again. I was ecstatic and jumped with joy. Lady Luck was with me after all. 

   Not for long.